Taxes et redevances applicables aux opérateurs de télécommunications en droit communautaire

{CJCE 18 septembre 2003, affaires jointes C-292/01 Albacom SpA et C-293/01 Infostrada SpA

Quelles sont les taxes ou redevances qu’un Etat peut-il imposer aux opérateurs de télécommunications titulaires d’une licence individuelle du seul fait de cette licence ? Telle est la question à laquelle la Cour a été amenée à répondre.

A l’origine du recours dont a été saisi le juge communautaire, il y a les dispositions de la loi n°448, du 23 décembre 1998 ainsi que celles de l’arrêté interministériel du 21 mars 2000. Ces dispositions imposent notamment aux opérateurs titulaires d’une licence individuelle une contribution sur les activités d’installation et de fourniture de réseaux de télécommunications, de fourniture au public de service de télécommunications mobiles et personnelles, calculée selon un pourcentage du chiffre d’affaire de l’année précédente.

Selon le gouvernement italien cette contribution, qui ne vise ni à couvrir des frais administratifs liés à une procédure d’autorisation ni à assurer l’utilisation d’une ressource rare, constituerait une participation des investissements engagées par l’Etat en vue de libéraliser les télécommunications et de permettre l’émergence de services innovateurs.

La Cour vient de juger pour droit qu’une telle contribution est contraire aux dispositions de la directive 97/13/CE du Parlement européen et du Conseil, du 10 avril 1997, relative à un cadre commun pour les autorisations générales et les licences individuelles dans le secteur des services des télécommunications, et, en particulier, à son article 11, en ce qu’elle impose aux entreprises titulaires de licences individuelles dans le domaine des services de télécommunications, du seul fait qu’elles détiennent celles-ci, des charges pécuniaires différentes de celles autorisées par ladite directive et qui s’ajoutent à ces dernières.

CJCE 18 septembre 2003, affaires jointes C-292/01 et C-293/01 ; Albacom SpA (C-292/01), Infostrada SpA (C-293/01) c/ Ministero del Tesoro, del Bilancio e della Programmazione Economica, et Ministero delle Comunicazioni




Droit des télécommunications et domaine public

L’urgence dans la contestation en référé de la résiliation d’une convention d’occupation du domaine public d’un opérateur de télécommunications.

Le Conseil d’Etat a refusé de donner une suite favorable à une requête en référé tendant à obtenir l’annulation de la décision prise par le maire de Marseille et annulant une convention d’occupation du domaine public conclu par un opérateur de télécommunications.

Si la haute juridiction considère « qu’il entre dans les pouvoirs du juge administratif, saisi, y compris par le cocontractant, de conclusions en ce sens, de prononcer l’annulation de décisions portant résiliation de conventions d’occupation du domaine public », le Conseil d’Etat rejète en l’espèce la demande en référé au motif que la condition de l’urgence n’est pas remplie.

Le Conseil d’Etat relève en effet qu’il ne ressort pas de l’instruction que « l’interruption du fonctionnement de ces installations réduirait la couverture des services de téléphonie mobile offerts par la société requérante dans l’agglomération marseillaise ou altérerait, de façon notable, leur qualité ; que la société requérante ne justifie pas que la suppression de ces installations impliquerait d’engager des travaux importants ».

Conseil d’Etat 8 / 3 SSR, 22 mai 2002, SFR c/ Ville de Marseille, req. n° 236223

. REPUBLIQUE FRANCAISE

. AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés les 18 juillet 2001 et 1er août 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la SOCIETE FRANCAISE DE RADIOTELEPHONE (SFR), dont le siège est 1, place Carpeaux, Tour Sequoïa à Paris La Défense (92915) ; la SOCIETE FRANCAISE DE RADIOTELEPHONE (SFR) demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’ordonnance du 28 juin 2001 par laquelle le vice-président délégué par le président du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la suspension de la décision du maire de Marseille du 24 avril 2001 ayant résilié la convention spécifique n° 2 en date du 14 octobre 1999, passée entre la ville de Marseille et la SOCIETE FRANCAISE DE RADIOTELEPHONE (SFR), relative à l’occupation du site de l’école des Borels par des ouvrages de radiotéléphonie mobile macro-cellulaires et ayant enjoint à cette société de démonter les installations lui appartenant ;

2°) d’ordonner la suspension de la décision du maire de Marseille en date du 24 avril 2001 ;

3°) de condamner la ville de Marseille à lui verser la somme de 15 000 F (2 286,74 euros) au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Stahl, Maître des Requêtes,
– les observations de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la SOCIETE FRANCAISE DU RADIOTELEPHONE (SFR) et de la SCP Coutard, Mayer, avocat de la ville de Marseille,
– les conclusions de Mme Mignon, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision » ;

Considérant que pour rejeter, par l’ordonnance attaquée, la demande de la SOCIETE FRANCAISE DE RADIOTELEPHONE (SFR) qui tendait à la suspension de la décision en date du 24 avril 2001 par laquelle le maire de Marseille avait résilié la convention d’occupation du domaine public relative à l’implantation d’installations de téléphonie mobile sur le site de l’école élémentaire des Borels et avait enjoint à cette société de démonter les installations lui appartenant, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a estimé qu’il n’appartenait pas au juge administratif d’annuler une telle décision qualifiée de « mesure prise par la personne publique envers un cocontractant » ;

Mais considérant qu’il entre dans les pouvoirs du juge administratif, saisi, y compris par le cocontractant, de conclusions en ce sens, de prononcer l’annulation de décisions portant résiliation de conventions d’occupation du domaine public ; qu’est par suite recevable une demande présentée sur le fondement de l’article L. 521-1 précité et tendant à la suspension de telles décisions lorsqu’elles font l’objet d’un recours en annulation ; que, dès lors, la société requérante est fondée à soutenir que le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a commis une erreur de droit et à demander, pour ce motif, l’annulation de l’ordonnance attaquée ;

Considérant qu’en vertu de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d’Etat, s’il prononce l’annulation d’une décision d’une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut régler l’affaire au fond si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie ; que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de régler l’affaire au titre de la procédure de référé engagée ;

Considérant que la décision du maire de Marseille en date du 24 avril 2001 a pour objet de mettre un terme à l’occupation par la SOCIETE FRANCAISE DE RADIOTELEPHONE (SFR) de certaines dépendances de l’école élémentaire des Borels et pour effet de contraindre cette société à interrompre le fonctionnement du relais de téléphonie mobile qui y est implanté ainsi qu’à procéder au démontage de ses installations ; qu’il ne résulte toutefois pas de l’instruction que l’interruption du fonctionnement de ces installations réduirait la couverture des services de téléphonie mobile offerts par la société requérante dans l’agglomération marseillaise ou altérerait, de façon notable, leur qualité ; que la société requérante ne justifie pas que la suppression de ces installations impliquerait d’engager des travaux importants ; que dans ces conditions, l’exécution de la décision du maire de Marseille ne préjudicie pas de manière suffisamment grave et immédiate à la situation de la SOCIETE FRANCAISE DE RADIOTELEPHONE (SFR) pour que la condition d’urgence exigée par l’article L. 521-1 du code de justice administrative puisse être regardée comme remplie ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la SOCIETE FRANCAISE DE RADIOTELEPHONE (SFR) n’est pas fondée à demander que soit prononcée la suspension de la décision du maire de Marseille en date du 24 avril 2001 ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la ville de Marseille qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamnée à verser à la SOCIETE FRANCAISE DE RADIOTELEPHONE (SFR) la somme qu’elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de condamner la SOCIETE FRANCAISE DE RADIOTELEPHONE (SFR) à verser à la ville de Marseille la somme qu’elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; DECIDE :

Article 1er : L’ordonnance du 28 juin 2001 du vice-président délégué par le président du tribunal administratif de Marseille est annulée. Article 2 : La demande présentée par la SOCIETE FRANCAISE DE RADIOTELEPHONE (SFR) devant le tribunal administratif de Marseille et le surplus des conclusions de sa requête sont rejetés. Article 3 : Les conclusions présentées par la ville de Marseille et tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées. Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE FRANCAISE DE RADIOTELEPHONE (SFR), à la ville de Marseille et au ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.




Droit des télécommunications : principe de précaution et résiliation de la convention d’occupation du domaine public

Le Conseil d’Etat vient d’annuler l’ordonnance d’un juge des référés ayant rejeté la demande d’un opérateur de télécommunications tendant à la suspension de l’exécution d’une décision par laquelle le président du conseil général de Saint-Pierre-et-Miquelon a résilié la convention d’occupation dont il était bénéficiaire, en vue de permettre l’implantation d’un bâtiment technique et d’une antenne hertzienne pour la mise en service d’un réseau de téléphonie mobile, ainsi que deux autres décisions par lesquelles le président du conseil général de Saint-Pierre-et-Miquelon a invité la requérante puis l’a mise en demeure de cesser immédiatement les travaux entrepris et de remettre le site en état. Cette résiliation était fondée sur un motif d’intérêt général tiré du principe de précaution en raison des effets des fréquences radioéléctriques sur la santé publique.

Pour annuler l’ordonnance critiquée, le Conseil d’Etat retient que que le motif d’intérêt général ainsi invoqué ne pouvait en principe être tiré de l’objet même de la convention ; que, sauf élément nouveau intervenu depuis la conclusion de la convention et de nature à rendre illicite l’objet de cette convention, une telle contestation ne pouvait être effectuée que par la voie d’une action en nullité du contrat.

Règlant l’affaire au titre du référé-suspension engagé, la haute juridiction considère que les conditions de la suspension sont réunies :

– l’urgence tenant à l’intérêt qui s’attache, d’une part à la couverture du territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon par le réseau de téléphonie mobile pour permettre notamment aux bateaux en détresse d’acheminer des appels d’urgence et, d’autre part, aux intérêts de l’opérateur de télécommunications, résultant des autorisations qui lui ont été délivrées, étant précisé l’absence d’éléments scientifiques produits devant le juge des référés et de nature à établir des risques sérieux pour la santé publique. Ce même raisonnement avait été suivi par le Conseil d’Etat en août 2002 pour annuler les arrêtés de certains maires interdisant l’implantation des antennes de téléphonie mobile dans un périmètre déterminé, notamment autour des écoles ou des hôpitaux.

– le moyen propre à créer un doute sérieux sur la légalité des décisions attaquées tenant au fait que l’entreprise bénéficiaire de la convention d’occupation du domaine public soutenait que le principe de précaution ne pouvait légalement s’analyser, en l’absence d’éléments nouveaux de nature à établir l’existence de risques sérieux pour la santé publique, comme un motif d’intérêt général pouvant justifier la résiliation de la convention d’occupation du domaine public qu’elle avait conclue. Il ne suffit donc pas pour la collectivité publique d’invoquer le motif d’intérêt général pour justifier la résiliation d’une convention d’occupation du domaien public. Il faut encore que le motif invoqué puisse réelement servir réellement l’intérêt général.

CE, 8e s/s 19 mai 2003, Société SPM TELECOM, Req. n° 251850

.

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 20 novembre et 5 décembre 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la SOCIETE SPM TELECOM, dont le siège est place du Général de Gaulle BP 4224 à Saint-Pierre-et-Miquelon (97500), représentée par son directeur général domicilié en cette qualité audit siège ; la SOCIETE SPM TELECOM demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’ordonnance du 22 octobre 2002 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon a rejeté sa demande tendant à la suspension de l’exécution de la décision du 31 juillet 2002 par laquelle le président du conseil général de Saint-Pierre-et-Miquelon a résilié la convention d’occupation d’une partie de la parcelle cadastrée 5 AM 0124 sise route du Cap aux Basques à Saint-Pierre, en vue de permettre l’implantation d’un bâtiment technique et d’une antenne hertzienne pour la mise en service d’un réseau de téléphonie mobile, ainsi que des décisions du 30 juillet 2002 et du 31 juillet 2002 par lesquelles le président du conseil général de Saint-Pierre-et-Miquelon a invité la requérante puis l’a mise en demeure de cesser immédiatement les travaux entrepris et de remettre le site en état ;

2°) de condamner la collectivité de Saint-Pierre-et-Miquelon à lui verser une somme de 2 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ; Vu le code de justice administrative ; Après avoir entendu en séance publique :

le rapport de M. El Nouchi, Maître des Requêtes,

les observations de la SCP Vier, Barthélemy, avocat de la SOCIETE SPM TELECOM,

les conclusions de M. Collin, Commissaire du gouvernement ;

Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi :

Considérant que la SOCIETE SPM TELECOM se pourvoit en cassation contre l’ordonnance du 22 octobre 2002, par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon a rejeté sa demande tendant à la suspension de l’exécution des décisions des 30 et 31 juillet 2002 par lesquelles le président du conseil général de Saint-Pierre-et-Miquelon a résilié la convention d’occupation du domaine public conclue avec cette collectivité le 23 octobre 2000 et l’a mise en demeure de remettre le site en l’état ; que cette convention a été consentie en vue de permettre l’implantation d’un bâtiment technique et d’une antenne hertzienne pour la mise en service d’un réseau de téléphonie mobile ;

Considérant qu’aux termes de l’article 4 de la convention susmentionnée : Lorsque l’intérêt général, apprécié par la seule collectivité territoriale, commandera l’aliénation ou la reprise du bien loué, cette dernière, de par sa seule volonté, résiliera la présente convention sans aucun motif ni condition ; qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés, que pour motiver sa décision de résilier ladite convention, le président du conseil général s’est borné à invoquer l’application du principe de précaution, sans pour autant faire état d’éléments nouveaux de nature à établir l’existence de risques pour la santé publique ;

Considérant que le motif d’intérêt général ainsi invoqué ne pouvait en principe être tiré de l’objet même de la convention ; que, sauf élément nouveau intervenu depuis la conclusion de la convention et de nature à rendre illicite l’objet de cette convention, une telle contestation ne pouvait être effectuée que par la voie d’une action en nullité du contrat ; que, dès lors, en ne regardant pas, en l’état de l’instruction, comme un moyen de nature à créer un doute sérieux sur la légalité des décisions attaquées, celui tiré par la société requérante de ce que le principe de précaution ne pouvait légalement s’analyser comme un motif d’intérêt général pouvant justifier la résiliation de la convention, le juge des référés a commis une erreur de droit ; que, par suite, la société requérante est fondée, pour ce motif, à demander l’annulation de l’ordonnance qu’elle attaque ;

Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu, par application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l’affaire au titre de la procédure de référé engagée ;

Considérant, en premier lieu, qu’eu égard, d’une part, à l’intérêt qui s’attache à la couverture du territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon par le réseau de téléphonie mobile pour permettre notamment aux bateaux en détresse d’acheminer des appels d’urgence et, d’autre part, aux intérêts de la SOCIETE SPM TELECOM, résultant des autorisations qui lui ont été délivrées, et en l’absence d’éléments scientifiques produits devant le juge des référés et de nature à établir des risques sérieux pour la santé publique, l’urgence justifie la suspension de la décision attaquée ;

Considérant, en second lieu, qu’il résulte de ce qui précède que le moyen tiré par la SOCIETE SPM TELECOM de ce que le principe de précaution ne pouvait légalement s’analyser, en l’absence d’éléments nouveaux de nature à établir l’existence de risques sérieux pour la santé publique, comme un motif d’intérêt général pouvant justifier la résiliation de la convention d’occupation du domaine public qu’elle avait conclue, doit être regardé, en l’état de l’instruction, comme propre à créer un doute sérieux sur la légalité des décisions litigieuses ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu de prononcer la suspension demandée ;

Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon à payer à la SOCIETE SPM TELECOM la somme de 2 500 euros que celle-ci demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : L’ordonnance en date du 22 octobre 2002 du juge des référés du tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon est annulée.

Article 2 : Les décisions en date des 30 et 31 juillet 2002 du président du conseil général de Saint-Pierre-et-Miquelon sont suspendues.

Article 3 : La collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon versera à la SOCIETE SPM TELECOM une somme de 2 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE SPM TELECOM, à la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon et au ministre de l’outre-mer.




Le financement du service universel des télécommunications

L’arrêt du Conseil d’Etat du 18 juin 2003 « Société Tiscali Télécom »

La Cour de justice des communautés européennes, par un arrêt en date du 6 décembre 2001, a jugé certaines des dispositions du code des postes et télécommunications français relatives au financement du service universel des télécommunications incompatibles avec le droit communautaire applicable. Cette circonstance faisait obstacle à l’application de ces dispositions par les autorités nationales. Or se fondant sur l’urgence et la nécessité d’assurer la continuité du fonctionnement du service universel des télécommunications, et par conséquent, de son financement par les opérateurs de télécommunications, le ministre délégué à l’industrie avait, par un arrêté du 11 juillet 2002, déterminer le montant prévisionnel du coût net du service universel.

C’est ainsi que la société TISCALI TELECOM, opérateur de services de télécommunications, a saisi le Conseil d’Etat de deux requêtes en annulation de l’arrêté cité ci-dessus.

1°) S’agissant de la demande en décharge du montant de la contribution des opérateurs de télécommunications au titre du service universel :

Selon le Conseil d’Etat, les contributions réclamées au titre du financement du service universel des télécommunications constituent un impôt dont le contentieux, compris parmi le contentieux général des actes et des opérations de puissance publique, relève de la compétence de la juridiction administrative ; en vertu des dispositions de l’article R. 312-1 du code de justice administrative, il appartient au tribunal administratif de Paris de connaître en premier ressort du contentieux relatif à cet impôt, établi par le ministre chargé des télécommunications en application du cinquième alinéa de l’article L. 35-3-2° du code des postes et télécommunications

2°) S’agissant de la légalité de l’arrêté du 11 juillet 2002 du ministre délégué à l’industrie en tant qu’il révèle l’existence d’une décision ayant fixé les nouvelles modalités de détermination du coût net du service universel des télécommunications et détermine le montant prévisionnel de ce coût net pour l’année 2002 :

Le Conseil d’Etat approuve le choix de l’arrêté alors même que le code des postes et télécommunications prévoit que ce coût est fixé par décret pris en Conseil d’Etat et selon une procédure particulière prévue à l’article III de l’article L. 35-3 du code des postes et télécommunications.

Prenant en considération cette situation particulière liée notamment à l’urgence qui s’attachait à l’adoption de règles nouvelles destinées à tirer toutes les conséquences de l’arrêt de la Cour de justice des communautés européennes et à assurer la continuité du financement et du fonctionnement du service universel, le Conseil tend à considérer qu’il peut faire entorse aux procédures internes prévues par la loi en vue de respecter l’arrêt de la CJCE. L’acceptation de cette affranchissement de la loi nationale ne semble néanmoins possible ici que dans la mesure où l’obligation de transparence est respectée, permettant ainsi la fixation des modalités d’évaluation et du montant du coût net du service universel dans des conditions de clarté et de délai suffisantes pour permettre aux opérateurs participant au financement du service universel de prévoir le montant des contributions qui leur seraient réclamées et de s’en acquitter dans les délais prescrits.

Le Conseil d’Etat annule donc l’arrêté querellé pour défaut de transparence, ledit arrêté n’ayant été ni publié, ni notifié. De plus, les opérateurs de télécommunications n’ont pas disposé d’un délai suffisant pour pouvoir déterminer le montant de la contribution prévisionnelle qui serait exigée d’eux au titre de l’année 2002 et s’en acquitter dans les délais fixés, lesquels ont d’ailleurs été abrégés.

Conseil d’État 2e sous-section, 18 juin 2003, SOCIETE TISCALI TELECOM, req. n° 250613 et n° 250608.




La couleur orange devant le juge communautaire.

De l’appréciation de la couleur comme marque (CJCE 6 mai 2003, affaire C-104/01, Libertel Groep BV contre Benelux-Merkenbureau.)

La Cour de justice des communautés européennes vient de se prononcer sur une question pour le moins inattendue mais non dépourvue de conséquences juridiques, dans la mesure où une marque enregistrée confère un monopole d’exploitation à son titulaire, qui fait usage exclusif des signes qui la constituent.

Saisi par le juge de cassation des pays par voie de recours préjudiciel en interprétation de l’article 3 de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, la CJCE a été invitée à répondre notamment à la question de savoir si une couleur en elle-même, sans forme ni contour, peut constituer un signe susceptible de représentation graphique propre à distinguer les produits et les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises. Dans l’affirmative, la Cour devait préciser les conditions dans lesquelles une telle marque pourrait être retenue.

Le litige est né suite au refus de l’autorité compétente hollandaise d’enregistrer la couleur orange comme marque pour les matériels de télécommunications, services de télécommunications ainsi que de gestion matérielle, financière et technique des moyens de télécommunications.

A l’interrogation principale, l’avocat général M. Philippe LEGER, dans des conclusions qui ne manquent pas d’argumentation, a proposé à la Cour de répondre par la négative et de juger que « l’article 2 de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988 […] doit être interprété en ce sens qu’une couleur en elle-même, sans forme ni contour, ne constitue pas un signe susceptible de représentation graphique propre à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises. »

Prenant le contre-pied de cette analyse, la Cour de justice des communautés européennesdit pour droit qu’une « couleur en elle-même, sans délimitation dans l’espace, est susceptible de présenter, pour certains produits et services, un caractère distinctif au sens de l’article 3, paragraphes 1, sous b), et 3, de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, à condition, notamment, qu’elle puisse faire l’objet d’une représentation graphique qui soit claire, précise, complète par elle-même, facilement accessible, intelligible, durable et objective. Cette dernière condition ne peut pas être satisfaite par la simple reproduction sur papier de la couleur en question, mais peut l’être par la désignation de cette couleur par un code d’identification internationalement reconnu. »

Elle ajoute que « pour apprécier le caractère distinctif qu’une couleur déterminée peut présenter en tant que marque, il est nécessaire de tenir compte de l’intérêt général à ne pas restreindre indûment la disponibilité des couleurs pour les autres opérateurs offrant des produits ou des services du type de ceux pour lesquels l’enregistrement est demandé. »

Ainsi « Une couleur en elle-même peut être reconnue comme ayant un caractère distinctif au sens de l’article 3, paragraphes 1, sous b), et 3, de la directive 89/104, à la condition que, par rapport à la perception du public pertinent, la marque soit apte à identifier le produit ou le service pour lequel l’enregistrement est demandé comme provenant d’une entreprise déterminée et à distinguer ce produit ou ce service de ceux d’autres entreprises. »

Toutefois, « le fait que l’enregistrement en tant que marque d’une couleur en elle-même soit demandé pour un nombre important de produits ou de services, ou bien qu’il le soit pour un produit ou un service spécifique ou pour un groupe spécifique de produits ou de services, est pertinent, ensemble avec les autres circonstances du cas d’espèce, tant pour apprécier le caractère distinctif de la couleur dont l’enregistrement est demandé que pour apprécier si son enregistrement contreviendrait à l’intérêt général à ne pas restreindre indûment la disponibilité des couleurs pour les autres opérateurs offrant des produits ou des services du type de ceux pour lesquels l’enregistrement est demandé. »

D’où le rôle déterminant de l’autorité compétente en matière d’enregistrement des marques, qui « doit procéder à un examen concret, en tenant compte de toutes les circonstances du cas d’espèce, et notamment de l’usage qui a été fait de la marque. »

Il s’agit en l’espèce de la première décision de la Cour de justice sur le sujet. En revanche, s’agissant de la situation française, il conviendra de relever que le Conseil d’Etat a eu à juger en 1974 que la couleur « Rouge Congo » revendiquée par une société à titre de marque présentait un caractère suffisamment distinctif pour bénéficier de la protection relative aux marques. Selon le Conseil d’Etat, « le législateur n’a pas écarté de manière absolue l’emploi d’une couleur unique, a titre de marque, dès lors qu’il s’agit d’une nuance bien déterminée qui a un caractère suffisamment distinctif pour les objets auxquels elle s’applique et que les droits résultant de cette marque ne font pas obstacle à ce que les concurrents actuels ou éventuels du propriétaire de la marque puissent colorer leurs produits selon d’autres nuances. »

En fin de compte, dans un système juridique qui favorise y compris l’appropriation du vivant à travers le brevet, conférant, comme pour la marque, un monopole d’exploitation à son titulaire, la position de la Cour, même si elle peut être contestable, n’est pas pour le moins surprenante puisqu’elle semble s’inscrire manifestement dans un courant des entreprises tendant à élargir le champs des biens susceptibles de faire l’objet d’une appropriation exclusive.