La CJCE gardienne des droits et libertés des téléspectateurs ?

La Cour de justice des communautés européennes (aff. RTL Television GmbH et Niedersächsische Landesmedienanstalt für privaten Rundfunk du 23 octobre 2003) vient de se prononcer à titre préjudiciel sur deux questions pour le moins surprenantes. La première consiste à savoir si l’article 11, paragraphe 3, de la directive 89/552/CEE modifié du Conseil, du 3 octobre 1989, dite « directive Télévision Sans Frontières » ou « Directive TSF » s’applique aux téléfilms conçus dès le départ pour l’insertion d’interruptions publicitaires. La seconde est relative aux critères requis pour que la diffusion de plusieurs films de télévision puisse être considérée comme une série.

Il convient de préciser que cette directive pose le principe d’une période minimale de 20 minutes à repecter entre deux interruptions publicitaires, pour tout programme audiovisuel.

L’article 11, § 3 de la directivie TSF prévoit un régime de protection renforcée pour les œuvres audiovisuelles, telles que les longs métrages et films conçus pour la télévision, à savoir une seule interruption publicitaire par tranche de 45 minutes et une interruption supplémentaire si l’émission a une durée supérieure d’au moins 20 minutes à deux ou plusieurs tranches complètes de 45 minutes.

Il est prévu parallèlement une exception pour les séries, feuilletons, émissions de divertissements et documentaires, qui relèvent de la règle des « 20 minutes ».

RTL était poursuivie par l’autorité de régulation allemande au motif qu’elle n’aurait pas respectée les dispositions de la législation nationale reprenant le droit communautaire.

En vue de contester sa soumission à ces dispositions l’opérateur audiovisuel soutenanit notamment que celles-ci visaient à préserver l’intégrité et la valeur des œuvres artistiques ainsi que l’indépendance rédactionnelle. Cette disposition n’aurait qu’à titre subsidiaire pour objectif de protéger les consommateurs. Mais qu’en tout état de cause, cette protection des poducteurs ou créateurs ne saurait lui être opposer puisque les œuvres en cause faisaient partie de ses productions. RTl invoquait aussi la liberté d’expression garantie par l’article 10 de la convention européenne des droits de l’homme.

En outre, s’agissant de la protection des œuvres produites spécialement pour la télévision et conçues dès le départ en prévoyant des pauses pour l’insertion de spots publicitaires, celles-ci répondent exclusivement à la qualification de feuilletons ou de séries et non de films de télévision, dans le sens de l’article 11 § 3 de la Directive TSF. En effet, une telle extension porterait atteinte de manière injustifiée aux droits fondamentaux des organismes de radiodiffusion télévisuelle.

Mais la Cour a jugé pour droit que « Des films qui ont été produits pour la télévision et qui prévoient, dès leur conception, des pauses pour l’insertion de messages publicitaires relèvent de la notion de « films conçus pour la télévision » visée à l’article 11, paragraphe 3, de la directive 89/552/CEE du Conseil, du 3 octobre 1989, visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l’exercice d’activités de radiodiffusion télévisuelle, telle que modifiée par la directive 97/36/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 juin 1997. » En outre, « les liens devant relier les films pour qu’ils puissent relever de l’exception prévue pour les « séries » à l’article 11, paragraphe 3, de ladite directive doivent porter sur le contenu des films concernés, tels que, par exemple, l’évolution d’un même récit d’une émission à l’autre ou la réapparition d’un ou de plusieurs personnages dans les différentes émissions. »

L’intérêt de cet arrêt est notamment de faire primer le droit des consommateurs que sont les téléspectateur face à une liberté fondamentale (liberté d’expression) garantie par la directive TSF et l’article 10 de la CEDH. Doit-on y voir une consécration du droit des téléspectateur de ne pas être « assailli » de messages publicitaires supérieur au droit à la liberé d’expression des annonceurs et des entreprises audiovisuelles ?

Christian NZALOUSSOU




Un nouveau décret relatif au soutien financier de l’industrie vidéographique

Un nouveau dispositif de soutien financier de l’industrie vidéographique vient d’être mis en place par le décret n° 2003-1018 du 24 octobre 2003 (Journal officiel du 25 octobre 2003).

Ce texte, qui abroge le décret n° 94-562 du 30 juin 1994 relatif au soutien financier de l’Etat à l’édition de vidéogrammes destinés à l’usage privé du public, étend les subventions versées par le CNC au titre du soutien financier de l’industrie cinématographique et de l’industrie audiovisuelle à l’industrie vidéagraphique. Il s’agit de deux types de subventions :

1° Il s’agit d’abord des subventions proportionnelles ou sélectives en vue de concourir à l’édition de vidéogrammes destinés à l’usage privé du public.

a) Ces subventions proportionnelles sont attribuées par le directeur général du CNC et déterminées par application de taux au montant du chiffre d’affaires déclaré par l’entreprise d’édition au Centre national de la cinématographie au titre :

– de chaque oeuvre cinématographique de longue durée pour laquelle a été délivré l’agrément de production prévu aux articles 40 à 49 du décret du 24 février 1999 susvisé ;

– de chaque programme composé d’oeuvres cinématographiques de courte durée dont au moins 70 % sont titulaires de l’autorisation de production prévue par la réglementation en application de l’article 2 du code de l’industrie cinématographique ainsi que d’un visa d’exploitation postérieur au 1er janvier 1995. Lorsque les oeuvres cinématographiques concernées sont produites par au moins une entreprise de production répondant aux conditions de l’article 7 du décret du 24 février 1999 susvisé, elles doivent répondre aux deux conditions susmentionnées.

b) Le calcul de son taux, fixé par arrêté conjoint du ministre chargé de l’économie et du ministre chargé de la culture, est effectué par application de taux au montant du chiffre d’affaires déclaré par l’éditeur des oeuvres cinématographiques, pendant une durée de six ans à compter de la première représentation commerciale. Les taux sont fixés par arrêté. »

c) Peuvent en bénéficier les entreprises d’édition qui répondent aux conditions suivantes :

– Etre déclarées et établies en France. Sont réputées établies en France les entreprises y exerçant effectivement une activité au moyen d’une installation stable et durable et dont le siège social est situé en France, dans un autre Etat membre de la Communauté européenne ou dans un Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen ;

– Avoir des présidents, directeurs ou gérants soit de nationalité française, soit ressortissants d’un Etat membre de la Communauté européenne, d’un Etat partie à la convention européenne sur la télévision transfrontière du Conseil de l’Europe ou d’un Etat tiers européen avec lequel la Communauté européenne a conclu des accords ayant trait au secteur audiovisuel. Les étrangers autres que les ressortissants des Etats européens précités justifiant de la qualité de résident sont assimilés aux citoyens français pour l’application des présentes dispositions.

2° Il s’agit ensuite des subventions à des organismes de droit public ou privé, dans l’intérêt général de l’édition vidéographique, en vue de favoriser des actions d’information et de promotion de l’édition vidéographique.

a) Des subventions peuvent en effet être attribuées par le directeur général du Centre national de la cinématographie à des organismes de droit public ou privé assurant des actions d’information des professionnels et de promotion en France et à l’étranger de l’édition de vidéogrammes destinés à l’usage privé du public.

b) Chaque subvention accordée fait l’objet d’une convention établie entre le Centre national de la cinématographie et l’organisme bénéficiaire. Cette convention fixe notamment les modalités de versement de la subvention ainsi que les circonstances dans lesquelles celle-ci est sujette à répétition.




Taxes et redevances applicables aux opérateurs de télécommunications en droit communautaire

{CJCE 18 septembre 2003, affaires jointes C-292/01 Albacom SpA et C-293/01 Infostrada SpA

Quelles sont les taxes ou redevances qu’un Etat peut-il imposer aux opérateurs de télécommunications titulaires d’une licence individuelle du seul fait de cette licence ? Telle est la question à laquelle la Cour a été amenée à répondre.

A l’origine du recours dont a été saisi le juge communautaire, il y a les dispositions de la loi n°448, du 23 décembre 1998 ainsi que celles de l’arrêté interministériel du 21 mars 2000. Ces dispositions imposent notamment aux opérateurs titulaires d’une licence individuelle une contribution sur les activités d’installation et de fourniture de réseaux de télécommunications, de fourniture au public de service de télécommunications mobiles et personnelles, calculée selon un pourcentage du chiffre d’affaire de l’année précédente.

Selon le gouvernement italien cette contribution, qui ne vise ni à couvrir des frais administratifs liés à une procédure d’autorisation ni à assurer l’utilisation d’une ressource rare, constituerait une participation des investissements engagées par l’Etat en vue de libéraliser les télécommunications et de permettre l’émergence de services innovateurs.

La Cour vient de juger pour droit qu’une telle contribution est contraire aux dispositions de la directive 97/13/CE du Parlement européen et du Conseil, du 10 avril 1997, relative à un cadre commun pour les autorisations générales et les licences individuelles dans le secteur des services des télécommunications, et, en particulier, à son article 11, en ce qu’elle impose aux entreprises titulaires de licences individuelles dans le domaine des services de télécommunications, du seul fait qu’elles détiennent celles-ci, des charges pécuniaires différentes de celles autorisées par ladite directive et qui s’ajoutent à ces dernières.

CJCE 18 septembre 2003, affaires jointes C-292/01 et C-293/01 ; Albacom SpA (C-292/01), Infostrada SpA (C-293/01) c/ Ministero del Tesoro, del Bilancio e della Programmazione Economica, et Ministero delle Comunicazioni




Droit des télécommunications et domaine public

L’urgence dans la contestation en référé de la résiliation d’une convention d’occupation du domaine public d’un opérateur de télécommunications.

Le Conseil d’Etat a refusé de donner une suite favorable à une requête en référé tendant à obtenir l’annulation de la décision prise par le maire de Marseille et annulant une convention d’occupation du domaine public conclu par un opérateur de télécommunications.

Si la haute juridiction considère « qu’il entre dans les pouvoirs du juge administratif, saisi, y compris par le cocontractant, de conclusions en ce sens, de prononcer l’annulation de décisions portant résiliation de conventions d’occupation du domaine public », le Conseil d’Etat rejète en l’espèce la demande en référé au motif que la condition de l’urgence n’est pas remplie.

Le Conseil d’Etat relève en effet qu’il ne ressort pas de l’instruction que « l’interruption du fonctionnement de ces installations réduirait la couverture des services de téléphonie mobile offerts par la société requérante dans l’agglomération marseillaise ou altérerait, de façon notable, leur qualité ; que la société requérante ne justifie pas que la suppression de ces installations impliquerait d’engager des travaux importants ».

Conseil d’Etat 8 / 3 SSR, 22 mai 2002, SFR c/ Ville de Marseille, req. n° 236223

. REPUBLIQUE FRANCAISE

. AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés les 18 juillet 2001 et 1er août 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la SOCIETE FRANCAISE DE RADIOTELEPHONE (SFR), dont le siège est 1, place Carpeaux, Tour Sequoïa à Paris La Défense (92915) ; la SOCIETE FRANCAISE DE RADIOTELEPHONE (SFR) demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’ordonnance du 28 juin 2001 par laquelle le vice-président délégué par le président du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la suspension de la décision du maire de Marseille du 24 avril 2001 ayant résilié la convention spécifique n° 2 en date du 14 octobre 1999, passée entre la ville de Marseille et la SOCIETE FRANCAISE DE RADIOTELEPHONE (SFR), relative à l’occupation du site de l’école des Borels par des ouvrages de radiotéléphonie mobile macro-cellulaires et ayant enjoint à cette société de démonter les installations lui appartenant ;

2°) d’ordonner la suspension de la décision du maire de Marseille en date du 24 avril 2001 ;

3°) de condamner la ville de Marseille à lui verser la somme de 15 000 F (2 286,74 euros) au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Stahl, Maître des Requêtes,
– les observations de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la SOCIETE FRANCAISE DU RADIOTELEPHONE (SFR) et de la SCP Coutard, Mayer, avocat de la ville de Marseille,
– les conclusions de Mme Mignon, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision » ;

Considérant que pour rejeter, par l’ordonnance attaquée, la demande de la SOCIETE FRANCAISE DE RADIOTELEPHONE (SFR) qui tendait à la suspension de la décision en date du 24 avril 2001 par laquelle le maire de Marseille avait résilié la convention d’occupation du domaine public relative à l’implantation d’installations de téléphonie mobile sur le site de l’école élémentaire des Borels et avait enjoint à cette société de démonter les installations lui appartenant, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a estimé qu’il n’appartenait pas au juge administratif d’annuler une telle décision qualifiée de « mesure prise par la personne publique envers un cocontractant » ;

Mais considérant qu’il entre dans les pouvoirs du juge administratif, saisi, y compris par le cocontractant, de conclusions en ce sens, de prononcer l’annulation de décisions portant résiliation de conventions d’occupation du domaine public ; qu’est par suite recevable une demande présentée sur le fondement de l’article L. 521-1 précité et tendant à la suspension de telles décisions lorsqu’elles font l’objet d’un recours en annulation ; que, dès lors, la société requérante est fondée à soutenir que le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a commis une erreur de droit et à demander, pour ce motif, l’annulation de l’ordonnance attaquée ;

Considérant qu’en vertu de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d’Etat, s’il prononce l’annulation d’une décision d’une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut régler l’affaire au fond si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie ; que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de régler l’affaire au titre de la procédure de référé engagée ;

Considérant que la décision du maire de Marseille en date du 24 avril 2001 a pour objet de mettre un terme à l’occupation par la SOCIETE FRANCAISE DE RADIOTELEPHONE (SFR) de certaines dépendances de l’école élémentaire des Borels et pour effet de contraindre cette société à interrompre le fonctionnement du relais de téléphonie mobile qui y est implanté ainsi qu’à procéder au démontage de ses installations ; qu’il ne résulte toutefois pas de l’instruction que l’interruption du fonctionnement de ces installations réduirait la couverture des services de téléphonie mobile offerts par la société requérante dans l’agglomération marseillaise ou altérerait, de façon notable, leur qualité ; que la société requérante ne justifie pas que la suppression de ces installations impliquerait d’engager des travaux importants ; que dans ces conditions, l’exécution de la décision du maire de Marseille ne préjudicie pas de manière suffisamment grave et immédiate à la situation de la SOCIETE FRANCAISE DE RADIOTELEPHONE (SFR) pour que la condition d’urgence exigée par l’article L. 521-1 du code de justice administrative puisse être regardée comme remplie ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la SOCIETE FRANCAISE DE RADIOTELEPHONE (SFR) n’est pas fondée à demander que soit prononcée la suspension de la décision du maire de Marseille en date du 24 avril 2001 ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la ville de Marseille qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamnée à verser à la SOCIETE FRANCAISE DE RADIOTELEPHONE (SFR) la somme qu’elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de condamner la SOCIETE FRANCAISE DE RADIOTELEPHONE (SFR) à verser à la ville de Marseille la somme qu’elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; DECIDE :

Article 1er : L’ordonnance du 28 juin 2001 du vice-président délégué par le président du tribunal administratif de Marseille est annulée. Article 2 : La demande présentée par la SOCIETE FRANCAISE DE RADIOTELEPHONE (SFR) devant le tribunal administratif de Marseille et le surplus des conclusions de sa requête sont rejetés. Article 3 : Les conclusions présentées par la ville de Marseille et tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées. Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE FRANCAISE DE RADIOTELEPHONE (SFR), à la ville de Marseille et au ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.




Droit des télécommunications : principe de précaution et résiliation de la convention d’occupation du domaine public

Le Conseil d’Etat vient d’annuler l’ordonnance d’un juge des référés ayant rejeté la demande d’un opérateur de télécommunications tendant à la suspension de l’exécution d’une décision par laquelle le président du conseil général de Saint-Pierre-et-Miquelon a résilié la convention d’occupation dont il était bénéficiaire, en vue de permettre l’implantation d’un bâtiment technique et d’une antenne hertzienne pour la mise en service d’un réseau de téléphonie mobile, ainsi que deux autres décisions par lesquelles le président du conseil général de Saint-Pierre-et-Miquelon a invité la requérante puis l’a mise en demeure de cesser immédiatement les travaux entrepris et de remettre le site en état. Cette résiliation était fondée sur un motif d’intérêt général tiré du principe de précaution en raison des effets des fréquences radioéléctriques sur la santé publique.

Pour annuler l’ordonnance critiquée, le Conseil d’Etat retient que que le motif d’intérêt général ainsi invoqué ne pouvait en principe être tiré de l’objet même de la convention ; que, sauf élément nouveau intervenu depuis la conclusion de la convention et de nature à rendre illicite l’objet de cette convention, une telle contestation ne pouvait être effectuée que par la voie d’une action en nullité du contrat.

Règlant l’affaire au titre du référé-suspension engagé, la haute juridiction considère que les conditions de la suspension sont réunies :

– l’urgence tenant à l’intérêt qui s’attache, d’une part à la couverture du territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon par le réseau de téléphonie mobile pour permettre notamment aux bateaux en détresse d’acheminer des appels d’urgence et, d’autre part, aux intérêts de l’opérateur de télécommunications, résultant des autorisations qui lui ont été délivrées, étant précisé l’absence d’éléments scientifiques produits devant le juge des référés et de nature à établir des risques sérieux pour la santé publique. Ce même raisonnement avait été suivi par le Conseil d’Etat en août 2002 pour annuler les arrêtés de certains maires interdisant l’implantation des antennes de téléphonie mobile dans un périmètre déterminé, notamment autour des écoles ou des hôpitaux.

– le moyen propre à créer un doute sérieux sur la légalité des décisions attaquées tenant au fait que l’entreprise bénéficiaire de la convention d’occupation du domaine public soutenait que le principe de précaution ne pouvait légalement s’analyser, en l’absence d’éléments nouveaux de nature à établir l’existence de risques sérieux pour la santé publique, comme un motif d’intérêt général pouvant justifier la résiliation de la convention d’occupation du domaine public qu’elle avait conclue. Il ne suffit donc pas pour la collectivité publique d’invoquer le motif d’intérêt général pour justifier la résiliation d’une convention d’occupation du domaien public. Il faut encore que le motif invoqué puisse réelement servir réellement l’intérêt général.

CE, 8e s/s 19 mai 2003, Société SPM TELECOM, Req. n° 251850

.

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 20 novembre et 5 décembre 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la SOCIETE SPM TELECOM, dont le siège est place du Général de Gaulle BP 4224 à Saint-Pierre-et-Miquelon (97500), représentée par son directeur général domicilié en cette qualité audit siège ; la SOCIETE SPM TELECOM demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’ordonnance du 22 octobre 2002 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon a rejeté sa demande tendant à la suspension de l’exécution de la décision du 31 juillet 2002 par laquelle le président du conseil général de Saint-Pierre-et-Miquelon a résilié la convention d’occupation d’une partie de la parcelle cadastrée 5 AM 0124 sise route du Cap aux Basques à Saint-Pierre, en vue de permettre l’implantation d’un bâtiment technique et d’une antenne hertzienne pour la mise en service d’un réseau de téléphonie mobile, ainsi que des décisions du 30 juillet 2002 et du 31 juillet 2002 par lesquelles le président du conseil général de Saint-Pierre-et-Miquelon a invité la requérante puis l’a mise en demeure de cesser immédiatement les travaux entrepris et de remettre le site en état ;

2°) de condamner la collectivité de Saint-Pierre-et-Miquelon à lui verser une somme de 2 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ; Vu le code de justice administrative ; Après avoir entendu en séance publique :

le rapport de M. El Nouchi, Maître des Requêtes,

les observations de la SCP Vier, Barthélemy, avocat de la SOCIETE SPM TELECOM,

les conclusions de M. Collin, Commissaire du gouvernement ;

Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi :

Considérant que la SOCIETE SPM TELECOM se pourvoit en cassation contre l’ordonnance du 22 octobre 2002, par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon a rejeté sa demande tendant à la suspension de l’exécution des décisions des 30 et 31 juillet 2002 par lesquelles le président du conseil général de Saint-Pierre-et-Miquelon a résilié la convention d’occupation du domaine public conclue avec cette collectivité le 23 octobre 2000 et l’a mise en demeure de remettre le site en l’état ; que cette convention a été consentie en vue de permettre l’implantation d’un bâtiment technique et d’une antenne hertzienne pour la mise en service d’un réseau de téléphonie mobile ;

Considérant qu’aux termes de l’article 4 de la convention susmentionnée : Lorsque l’intérêt général, apprécié par la seule collectivité territoriale, commandera l’aliénation ou la reprise du bien loué, cette dernière, de par sa seule volonté, résiliera la présente convention sans aucun motif ni condition ; qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés, que pour motiver sa décision de résilier ladite convention, le président du conseil général s’est borné à invoquer l’application du principe de précaution, sans pour autant faire état d’éléments nouveaux de nature à établir l’existence de risques pour la santé publique ;

Considérant que le motif d’intérêt général ainsi invoqué ne pouvait en principe être tiré de l’objet même de la convention ; que, sauf élément nouveau intervenu depuis la conclusion de la convention et de nature à rendre illicite l’objet de cette convention, une telle contestation ne pouvait être effectuée que par la voie d’une action en nullité du contrat ; que, dès lors, en ne regardant pas, en l’état de l’instruction, comme un moyen de nature à créer un doute sérieux sur la légalité des décisions attaquées, celui tiré par la société requérante de ce que le principe de précaution ne pouvait légalement s’analyser comme un motif d’intérêt général pouvant justifier la résiliation de la convention, le juge des référés a commis une erreur de droit ; que, par suite, la société requérante est fondée, pour ce motif, à demander l’annulation de l’ordonnance qu’elle attaque ;

Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu, par application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l’affaire au titre de la procédure de référé engagée ;

Considérant, en premier lieu, qu’eu égard, d’une part, à l’intérêt qui s’attache à la couverture du territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon par le réseau de téléphonie mobile pour permettre notamment aux bateaux en détresse d’acheminer des appels d’urgence et, d’autre part, aux intérêts de la SOCIETE SPM TELECOM, résultant des autorisations qui lui ont été délivrées, et en l’absence d’éléments scientifiques produits devant le juge des référés et de nature à établir des risques sérieux pour la santé publique, l’urgence justifie la suspension de la décision attaquée ;

Considérant, en second lieu, qu’il résulte de ce qui précède que le moyen tiré par la SOCIETE SPM TELECOM de ce que le principe de précaution ne pouvait légalement s’analyser, en l’absence d’éléments nouveaux de nature à établir l’existence de risques sérieux pour la santé publique, comme un motif d’intérêt général pouvant justifier la résiliation de la convention d’occupation du domaine public qu’elle avait conclue, doit être regardé, en l’état de l’instruction, comme propre à créer un doute sérieux sur la légalité des décisions litigieuses ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu de prononcer la suspension demandée ;

Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon à payer à la SOCIETE SPM TELECOM la somme de 2 500 euros que celle-ci demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : L’ordonnance en date du 22 octobre 2002 du juge des référés du tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon est annulée.

Article 2 : Les décisions en date des 30 et 31 juillet 2002 du président du conseil général de Saint-Pierre-et-Miquelon sont suspendues.

Article 3 : La collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon versera à la SOCIETE SPM TELECOM une somme de 2 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE SPM TELECOM, à la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon et au ministre de l’outre-mer.