Référé suspension et substitution de motifs (santé publique occupation du domaine public par les opérateurs de télécommunications)

Conseil d’État, 5e et 4 SSR, 15 mars, req. N° 261130

M. Campeaux, Rapporteur M. Chauvaux, Commissaire du gouvernement M. Robineau, Président BLONDEL

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 17 octobre et 30 octobre 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la COMMUNE DE VILLASAVARY, représentée par son maire en exercice ; la COMMUNE DE VILLASAVARY demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’ordonnance du 1er octobre 2003 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a suspendu, à la demande de la société Orange France, l’exécution de la décision du 12 juin 2003 du maire de la commune exposante enjoignant à ladite société de procéder au démontage, avant le 6 octobre 2003, de l’antenne de radiotéléphonie mobile installée sur le château d’eau de Villasavary (Aude) et de son local technique attenant ;

2°) de rejeter la demande présentée devant le tribunal administratif de Montpellier par la société Orange France ;

Vu les autres pièces du dossier ; Vu le code général des collectivités territoriales ; Vu le code des postes et télécommunications ; Vu le décret n° 2002-775 du 3 mai 2002 ; Vu le code de justice administrative ;

(…)

Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ;

Considérant que la COMMUNE DE VILLASAVARY (Aude) se pourvoit en cassation contre l’ordonnance du 1er octobre 2003 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier, saisi par la société Orange France, a suspendu l’exécution de la décision du 12 juin 2003 du maire de Villasavary ordonnant à ladite société de procéder au démontage, avant le 6 octobre 2003, de l’antenne de téléphonie mobile installée sur le château d’eau de la commune ainsi que de son local technique ;

Considérant que l’administration peut faire valoir devant le juge des référés que la décision dont il lui est demandé de suspendre l’exécution, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision ; qu’il appartient alors au juge des référés, après avoir mis à même l’auteur de la demande, dans des conditions adaptées à l’urgence qui caractérise la procédure de référé, de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher s’il ressort à l’évidence des données de l’affaire, en l’état de l’instruction, que ce motif est susceptible de fonder légalement la décision et que l’administration aurait pris la même décision si elle s’était fondée initialement sur ce motif ; que dans l’affirmative et à condition que la substitution demandée ne prive pas le requérant d’une garantie procédurale liée au motif substitué, le juge des référés peut procéder à cette substitution pour apprécier s’il y a lieu d’ordonner la suspension qui lui est demandée ;

Considérant que pour écarter la demande de la COMMUNE DE VILLASAVARY tendant à ce qu’il substitue, au motif tiré de la résiliation de la convention conclue pour l’implantation des équipements de téléphonie mobile en raison des risques pour la santé publique, qui constituait le motif initial de la décision litigieuse, celui tiré de la nullité de cette convention, le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a jugé que ce nouveau motif n’imposait pas à la COMMUNE DE VILLASAVARY d’enjoindre à la société Orange France de procéder au démontage des installations ; qu’en subordonnant ainsi la substitution demandée à la condition que le nouveau motif invoqué devant lui imposât à l’administration de prendre la décision litigieuse, le juge des référés a commis une erreur de droit ; que, par suite, son ordonnance doit être annulée ;

Considérant qu’il y a lieu, par application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l’affaire au titre de la procédure de référé engagée par la société Orange France ;

Sur la fin de non-recevoir opposée par la COMMUNE DE VILLASAVARY :

Considérant que la décision du maire de Villasavary en date du 12 juin 2003, qui impose à la société Orange France de procéder au démontage de ses installations avant une date fixée, fait grief à celle-ci, qui est dès lors recevable à demander la suspension de son exécution ;

Sur les conclusions tendant à la suspension de l’exécution de ladite décision :

Considérant qu’eu égard tant à l’intérêt qui s’attache à la couverture du territoire national par le réseau de téléphonie mobile qu’aux intérêts propres de la société Orange France, résultant notamment des autorisations qui lui ont été données, et en l’absence au dossier d’éléments de nature à établir l’existence de risques sérieux pour la santé publique, l’urgence justifie la suspension de la décision attaquée, nonobstant la circonstance que la COMMUNE DE VILLASAVARY aurait proposé à la société Orange France un autre site pour l’implantation de ses équipements ;

Considérant que si la COMMUNE DE VILLASAVARY demande que soit substitué, au motif initial de la décision contestée, celui tiré de la nullité de la convention d’occupation du domaine public conclue pour l’implantation des installations litigieuses, il ne ressort pas à l’évidence des données de l’affaire, en l’état de l’instruction, que la commune aurait pris la même décision si elle s’était initialement fondée sur ce motif ; qu’il ne peut, dès lors, être procédé à la substitution demandée pour apprécier s’il y a lieu d’ordonner la suspension de ladite décision ;

Considérant qu’en l’état de l’instruction, le moyen tiré, par voie d’exception, de l’illégalité de la résiliation de la convention conclue pour l’implantation des équipements de téléphonie mobile sur le domaine public communal, en l’absence de risques avérés pour la santé publique, est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu d’ordonner la suspension de l’exécution de la décision du maire de Villasavary en date du 12 juin 2003 ;

Sur les conclusions de la société Orange France tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner la COMMUNE DE VILLASAVARY à verser à la société Orange France la somme de 3 000 euros que demande celle-ci au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

[1]

Article 1er : L’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Montpellier du 1er octobre 2003 est annulée.

Article 2 : L’exécution de la décision du maire de la COMMUNE DE VILLASAVARY du 12 juin 2003 est suspendue.

Article 3 : La COMMUNE DE VILLASAVARY versera à la société Orange France la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la COMMUNE DE VILLASAVARY et à la société Orange France.