Mesures d’ordre intérieur dans les établissements pénitentiaires : la position raisonnée de la Cour administrative d’appel de Paris

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à propos de l’arrêt CAA Paris Plénière, 5 novembre 2002 Remli c/ Garde des sceaux, Ministre de la justice, req n°01PA0075

La Cour administrative d’appel de Paris vient de secouer le monde clos des prisons en y ajoutant une part de droit favorable aux détenus. Dans une décision de principe, et en radicale opposition avec la jurisprudence du Conseil d’Etat, elle vient en effet de juger que le placement à l’isolement d’un détenu contre son gré constitue une décision faisait grief et, comme telle, susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès pouvoir.

Le litige à l’origine de cet arrêt est des plus banals puisque né du placement à l’isolement d’un détenu suivi de son transfèrement consécutifs à un mouvement de contestation dont il était l’un des meneurs. Saisi d’une requête en annulation de la décision de placement à l’isolement, le Tribunal administratif de Versailles a déclaré ce recours irrecevable au motif qu’il s’agissait en l’occurrence d’une mesure d’ordre intérieur ne pouvant faire grief, ce en conformité avec la jurisprudence du Conseil d’Etat, laquelle n’a jamais été contestée – à notre connaissance- par les juridictions inférieures [1]. En effet, dans un arrêt « Fauqueux » du 28 février 1996, le Conseil d’Etat a jugé, s’agissant d’une décision de mise à l’isolement, qu’une « telle mesure, qui n’a pas pour effet d’aggraver les conditions de détention, n’est pas, par nature, susceptible d’exercer une influence sur la situation juridique de la personne qui en est l’objet ; qu’elle constitue, ainsi, une mesure d’ordre intérieur. »

Le droit était donc dit, mais était-il en conformité avec la réalité carcérale et la définition de mesure d’ordre intérieur ? Certainement pas ; et une évolution du Conseil d’Etat sur ce point serait la bienvenue comme il a su le faire en matière de sanction disciplinaire infligée aux détenues laquelle constitue, depuis l’arrêt « Marie », une décision faisant grief susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Par l’arrêt Remli, la Cour administrative de Paris donne au Conseil d’Etat l’occasion de revenir sur sa jurisprudence en matière de placement à l’isolement si une occasion venait à se présenter. La Haute juridiction ne peut en effet maintenir la légitimité du caractère discrétionnaire des décisions de mise à l’isolement en dépassant notamment l’obscur clarté qui marque les dispositions du code de procédure pénale applicable en la matière (1). Au demeurant l’Assemblée plénière de la Cour administrative d’appel de Paris, en contestant la qualification de mesure d’ordre intérieur, établit en quoi le placement à l’isolement fait grief au détenu (2).

I – De l’obscur clarté du code de procédure pénale en matière de mise à l’isolement…

En réalité, il n’est pas évident de se retrouver dans les dédales du droit pénitentiaire empreint non seulement d’approximation terminologique, mais aussi de diversité de mesures tendant à soumettre les détenus au respect de l’ordre et de la discipline dans le milieu carcéral : mise à l’isolement, confinement en cellule ordinaire, mise en cellule disciplinaire… Si désormais les deux dernières mesures sont considérées comme des sanctions disciplinaires, il en va autrement de la première qualifiée de mesure d’ordre intérieur par le juge administratif.

En droit administratif, une mesure d’ordre intérieur constitue bien un acte administratif mais un acte qui ne fait pas grief, c’est-à-dire qui n’a pas de conséquences sur les droits des destinataires. On évoque alors l’adage « De minimis non curat praetor » : le prêteur ne s’occupe pas des petites affaires, ne comportant en fait que des effets insignifiants pour les intéressés. Une mesure d’ordre intérieur ne saurait donc faire l’objet d’une contestation devant le juge de l’excès de pouvoir. Ainsi en a jugé le juge administratif à propos d’une circulaire traitant des punitions scolaires [2] ; d’une décision organisant l’emploi du temps d’un établissement d’enseignement public [3].

En droit carcéral, le recours à la notion de mesure d’ordre intérieur est quasiment systématique, le juge administratif relevant souvent que la mesure querellée n’est pas « par nature, susceptible d’exercer une influence sur la situation juridique de la personne qui en est l’objet » [4]. C’est le cas du refus d’acheminer le courrier adressé par un prisonnier à un autre prisonnier [5], ou de la décision de placer un détenu dans un quartier de plus grande sécurité [6].

Concernant la mise à l’isolement des détenus, la question n’est pas explicitement réglée par le code de procédure pénale. Son article D.283-2 se contente d’indiquer que « la mise à l’isolement ne constitue pas une sanction disciplinaire », mais que les détenus faisant l’objet de cette mesure sont soumis au « régime ordinaire de la détention. » [7]. S’agit-il d’une indication des rédacteurs du code à l’égard de l’administration pénitentiaire en ce qui concerne le comportement à tenir ou s’agit-il en revanche d’une réelle disqualification de la mise à l’isolement tendant à verrouiller tout débat sur le sort des détenus ?

La doctrine est très critique sur la qualification de mesure d’ordre intérieur appliquée aux décisions de placement à l’isolement. Elle se fonde notamment sur les conséquences matérielles et juridiques de telles mesures sur la situation du détenu [8].

En revanche, la position de la jurisprudence administrative paraissait figée sur ce point avec une application contestable des dispositions du code de procédure pénale sans s’interroger sur les incidences réelles de la mise à l’isolement sur la situation du détenu ou encore sur la contradiction apparente entre le « régime normale de la détention » du détenu mis à l’isolement et la restriction par cette même décision de la parcelle de liberté et de droit dont ce dernier dispose encore dans le milieu carcéral, notamment en vue de préparer sa réinsertion qui est bien évidemment l’un des objectifs de la politique pénale : participation aux activités collectives, accès à la bibliothèque, exercice d’une activité rémunérée… En outre, on aurait pu croire que la lecture de la jurisprudence Marie devait aboutir à son application aux décisions de mise à l’isolement des détenus. Le juge administratif n’a jamais profité de la possibilité qui lui avait été donnée dans plusieurs affaire soumis à lui pour pouvoir faire évoluer sa jurisprudence.

Dans le contexte de l’affaire REMLI, l’objet réel du placement à l’isolement du détenu ainsi que de ses transfèrements successifs ne pouvait être ignoré du juge. On aurait donc pu envisager une requalification en sanction disciplinaire déguisée, dans la mesure où le placement contesté était intervenu suite à des faits qualifiés de fautes disciplinaires par le code de procédure pénale. Les faits reprochés à Monsieur REMLI auraient donc mérité une qualification disciplinaire voire pénale, ceux-ci entrant incontestablement dans le cadre de ceux qui sont prévus et réprimés par les articles D.249-2 à D. 249-4 du CPP ainsi que les articles D.251 à D.254 du même code, du moins pour fait de trouble à l’ordre public. Dans une telle hypothèse la procédure disciplinaire était requise alors qu’en matière de mise à l’isolement la procédure est allégée et qu’en toute hypothèse la jurisprudence du Conseil d’Etat était claire sur la nature d’une telle mesure. Mais la facilité administrative a plutôt porté sur le choix du placement à l’isolement lequel relèverait du pouvoir discrétionnaire de l’administration pénitentiaire.

Si la chambre plénière de la Cour administrative d’appel de Paris a refusé de se situer sur le terrain de la sanction disciplinaire déguisée, la solution adoptée dans l’arrêt REMLI lui a permis néanmoins de prendre position pour la recevabilité des mesures de mise à l’isolement décidée contre le gré du détenu, en s’éloignant de la jurisprudence de la Haute juridiction.

II – …Au choix de la Cour administrative d’appel de Paris décision de placement à l’isolement constitue bien une mesure faisant grief.

Considérer en effet que la mise à l’isolement n’a aucune incidence sur la situation carcérale du détenu, tant en son principe que dans ses effets, paraît pour le moins dogmatique, puisqu’on se refuse donc d’aller au-delà de la lettre de l’article D.283-2 du CPP. Cela implique aussi que le juge se refuse d’examiner concrètement les conséquences de la mise à l’isolement. Il semble alors qu’il lui suffirait de constater qu’une « telle mesure qui n’a pas pour effet d’aggraver les conditions de détention », pour rejeter toute prétention.

Loin d’être satisfaisante, la démarche du Conseil d’Etat tend certainement à confondre objet et effet de la mise à l’isolement. Si le rédacteur du code précité envisageait la mise à l’isolement comme une mesure n’ayant, par sa nature, aucun effet sur les conditions de détention d’un détenu, force est de constater que la réalité carcérale est tout autre.

C’est ainsi que, à l’affirmation péremptoire du Conseil d’Etat, la Cour administrative d’appel de Paris oppose un constat selon lequel l’isolement contre son gré fait perdre au détenu diverses occasions et avantages, outre l’évidente privation de contacts humains : privation du bénéfice ou de la conservation d’un travail rémunéré, de la participation à des activités collectives organisées dans l’établissement au titre de l’action socio-culturelle, de l’enseignement et de la formation professionnelle. On aurait aussi pu y ajouter, en cas de prolongement d’une telle mesure, « une dégradation psychologique, des pertes d’équilibre et de mémoire, des insomnies, des difficultés de concentration puis d’élocution importantes. Parfois, la dégradation de l’état mental du détenu peut être considérable et même, dans certaines circonstances, irréversibles ». [9] La Cour de Paris conclut logiquement que, dans ces circonstances, « le placement à l’isolement d’un détenu contre son gré constitue non une mesure d’ordre intérieure mais une décision faisant grief, susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. »

Incontestablement cette décision se situe dans la lancée de la jurisprudence « Marie » en examinant les effets de la mesure. Cette position très courageuse s’inscrit au demeurant dans un contexte politique interne qui a vu émerger des démarches tendant à encadrer les décisions de mise à l’isolement. C’est ainsi que, déjà dans une circulaire du 14 décembre 1998, le ministre de la justice, garde des sceaux, a invité les directeurs d’établissements pénitentiaires à motiver les décisions de placement à l’isolement. Si cette circulaire ne saurait être évoquée devant le juge administratif, on peut néanmoins y voir un aveu de l’administration sur les effets de la mise à l’isolement sur la situation du détenu [10].

Dans le même sens mais allant plus loin, une proposition de loi relative aux conditions de détention dans les établissements pénitentiaires et au Contrôle général des prisons, telle qu’adoptée par le Sénat le 26 avril 2001, tend à insérer de nouveaux articles 726-1 et 726-2 au code de procédure pénale reconnaissant au détenu la possibilité de contester devant le juge administratif le placement à l’isolement contre son gré.

En outre, un avant projet de loi de l’ancien gouvernement sur la peine et le service public pénitentiaire tend à considérer la mise à l’isolement comme une « limitation aux droits de la personne détenue », une « mesure de contrainte ». C’est ainsi que le Garde des Sceaux, Ministre de la justice envisageait, dans ce projet de loi, d’encadrer le placement à l’isolement en prévoyant clairement deux régimes très distincts de celui-ci : « l’un qui comporte un encadrement juridique strict lorsque la mesure est décidée d’office par le directeur de l’établissement ; l’autre, d’une grande souplesse lorsqu’elle est sollicitée par le détenu lui-même, qui doit alors constamment avoir la faculté d’y mettre fin à tout moment. Il suggère aussi que toute décision de mise à l’isolement puisse faire l’objet « d’un recours devant les juridictions administratives. ».

De telles initiatives tendent incontestablement à prendre en compte les critiques faites au système français, notamment par le Comité Européen pour la Prévention de la Torture (CPT), lequel qualifie la mise à l’isolement de « torture blanche ».

S’agissant d’une mesure d’ordre intérieur, il convient de relever que celle-ci, bien qu’étant un acte décisoire, ne peut cependant pas moins être contestée devant le juge de l’excès de pouvoir, ceci parce qu’elle intéresse l’organisation d’un service public. Ainsi en a jugé le Conseil d’Etat à propos d’une circulaire traitant des punitions scolaires [11], l’organisation de l’emploi du temps d’un établissement d’enseignement public [12].

S’agissant d’une mesure prise dans un cadre carcéral, il a été jugé que celle-ci n’est pas « par nature, susceptible d’exercer une influence sur la situation juridique de la personne qui en est l’objet » [13], comme le refus d’acheminer le courrier adressé par un prisonnier à un autre prisonnier [14], ou la décision de placer un détenu dans un quartier de plus grande sécurité [15].

La Cour administrative d’appel de Paris a dû certainement être encouragée dans sa position par ces mutations potentielles car elle n’avait jamais manifesté, dans le passé, des velléités d’affranchissement à l’égard de cette jurisprudence du Conseil d’Etat. Bien au contraire, elle a montré une certaine ardeur en qualifiant de mesure d’ordre intérieur, le placement d’un détenu en quartier disciplinaire à titre conservatoire [16]. Néanmoins ce même arrêt Frérot apparaît comme précurseur de la décision REMLI car la Cour y avait envisagé l’ambivalence d’une mesure relevant de l’organisation du service public pénitentiaire, à savoir la décision de supprimer l’accès au parloir sans dispositif de séparation. Elle a ainsi jugé que « la décision d’accès au parloir avec dispositif de séparation constitue selon les circonstances propres à chaque espèce soit une sanction disciplinaire, soit une mesure de sécurité obéissant à d’autres impératifs et considérations que la volonté de sanctionner a posteriori une infraction commise au cours ou à l’occasion d’une visite » [17].

Pour louable qu’elle soit, la position de la Cour administrative d’appel de Paris reste toutefois fragile en ce sens qu’il n’est pas surprenant que la Conseil d’Etat en vienne à sanctionner cet écart de jurisprudence, notamment en raison du flottement qui semble caractérisé la position du Conseil d’Etat.

Car, on fera remarquer ici qu’il s’agit de la situation juridique du détenu qui est prise en compte par le Conseil d’Etat. Est-il envisageable que la mise à l’isolement ait un effet sur la situation juridique du détenu ? En ce qui nous concerne la réponse est incontestablement positive lorsque la mesure n’a pas été sollicitée par le détenu. En revanche le Conseil d’Etat n’exclut la qualification de mesure d’ordre intérieur qu’en cas de sanction (qualifié comme tel par une disposition juridique) ou lorsque l’on est en présence d’un droit explicitement protégé, ce seul critère semblant déterminer un contrôle du juge administratif sur cet acte faisant grief. Il en est ainsi par exemple d’une décision d’un directeur de maison d’arrêt supprimant la possibilité pour les détenus d’acheter des oeufs frais à la cantine de l’établissement. La Cour administrative d’appel de Lyon a jugé que « cette suppression limite l’exercice du droit reconnu aux détenus par les dispositions [du code de procédure pénale] d’acheter des denrées d’usage courant en cantine et présente ainsi le caractère, non d’une mesure d’ordre intérieur, mais d ’une décision faisant grief » [18].

S’agissant de la mise à l’isolement, il est indéniable que les conditions d’exécution de la peine s’en trouvent incontestablement aggravées. Non seulement l’isolement sensoriel et auditif est imposé, et constitue ainsi une mesure coercitive, mais encore le travail, la formation, le sport, la scolarité, en somme les activités collectives, sont prohibées au détenu. Or ces activités participent notamment à la réinsertion du détenu laquelle constitue un objectif de la politique pénale. Rien que sur ce point, il nous semble qu’il est en droit de voir garantir ses droits à la réinsertion.

Aussi, la jurisprudence même de la Haute juridiction doit évoluer, en tenant compte les difficultés que peuvent poser la mise à l’isolement d’office à la réinsertion du détenu et donc de sa situation juridique. Un certain réajustement est d’ailleurs perceptible. Si en effet, dans un premier temps la Haute juridiction se contentait de relever, en vue de la qualification de la mise à l’isolement, « qu’une telle mesure qui n’a pas pour effet d’aggraver les conditions de détention » [19], elle en est venue à reprendre simplement la formule de l’article D.283-2 du code de procédure pénale en relevant que la décision contestée « ne modifie pas le régime de détention applicable » au détenu [20].

Il reste que la jurisprudence du Conseil d’Etat risque de s’en tenir encore à la qualification de mesure d’ordre intérieur. Dans cette situation c’est donc vers le législateur qu’il faudra se tourner en vue de clarifier la situation. Une reprise par le nouveau gouvernement de la proposition et de l’avant projet des lois précitées viendra à coup sûr clore ce chapitre douloureux pour le monde carcéral.

CN Cour administrative d’appel de Paris, 5 novembre 2002, n° 01PA00075, M. Said André R.

Le placement à l’isolement d’un détenu contre son gré constitue non une mesure d’ordre intérieur mais une décision faisant grief, susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.

COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE PARIS N° 01PA00075, Affaire Ministre de la Justice GArde des Sceaux contre Saïd R.

M. RACINE Président

M. JARDIN Rapporteur

M. DEMOUVEAUX Commissaire du Gouvernement

Séance du 21 octobre 2002 Lecture du 5 novembre 2002

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE PARIS

(Formation Plénière)

VU la requête, enregistrée au greffe de la cour le 8 janvier 2001, présentée par M. Saïd André R. ; M. R. demande à la cour d’annuler le jugement du 15 décembre 2000 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision en date du 18 juin 1998 du directeur de la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy (Yvelines) le plaçant à l’isolement ;

VU les autres pièces du dossier ;

VU le code de procédure pénale ;

VU la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l’amélioration des relations entre l’administration et le public ;

VU le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 21 octobre 2002 :
– le rapporte de M. JARDIN, premier conseiller ,
– les observations de Me NZALOUSSOU, avocat, pour M. R. ,
– et les conclusions de M. DEMOUVEAUX , commissaire du Gouvernement ;

Sur les conclusions présentées pour la première fois en appel par M. R. :

Sans qu’il soit besoin de statuer sur les moyens de la requête :

Considérant que M. R. qui devant le tribunal administratif n’a demandé que l’annulation de la décision en date du 18 juin 1998 du directeur de la maison d’arrêt de Bois d’Arcy ( Yvelines) le plaçant à l’isolement , demande en outre à la cour, d’une part, d’annuler la décision prononçant son transfèrement à la maison d’arrêt de Bois d’Arcy (Yvelines) et la décision en date du 3 septembre 1998 du directeur régional des services pénitentiaires de Paris autorisant la prolongation de son placement à l’isolement pour une durée de trois mois, d’autre part, de condamner l’Etat à lui verser une indemnité de 7.622,45 euros en réparation du préjudice résultant pour lui de l’illégalité de ces deux décisions et de celle déjà mentionnée en date du 18 juin 1998 ; que ces conclusions à fin d’annulation et d’indemnisation, qui sont nouvelles en appel, ne peuvent qu’être rejetées comme irrecevables ;

Sur les conclusions dirigées contre le jugement du tribunal administratif de Versailles du 15 décembre 2000 :

Considérant que l’article D. 283-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue du décret n° 96-287 du 2 avril 1996 applicable en l’espèce, dispose : « Tout détenu se trouvant dans un établissement ou un quartier en commun peut soit sur sa demande, soit par mesure de précaution ou de sécurité, être placé à l’isolement./ La mise à l’isolement est ordonnée par le chef de l’établissement qui rend compte à bref délai au directeur régional et au juge de l’application des peines. Le chef de l’établissement fait en outre rapport à la commission de l’application des peines dès la première réunion suivant la mise à l’isolement ou le refus opposé à la demande d’isolement du détenu./ Le détenu peut faire parvenir au juge de l’application des peines soit directement, soit par l’intermédiaire de son conseil, toutes observations utiles en ce qui concerne la décision prise à son égard. / Les détenus placés à l’isolement sont signalés au médecin qui les visite dans les conditions prévues à l’article D 375 . Le médecin émet, chaque fois qu’il l’estime utile, un avis sur l’opportunité de prolonger l’isolement ou d’y mettre fin./ La durée de l’isolement ne peut être prolongée au delà de trois mois sans qu’un nouveau rapport ait été fait devant la commission de l’application des peines et sans une décision du directeur régional, prononcée après avis du médecin » ;

Considérant qu’il résulte de ces dispositions, en premier lieu , que le pouvoir dévolu au chef d’établissement de placer un détenu à l’isolement contre son gré ne peut légalement s’exercer que dans le but de prévenir ou de faire cesser les désordres ou atteintes à la sécurité des personnes et des biens que provoquerait le maintien du détenu dans l’établissement ou le quartier en commun ; en deuxième lieu que la décision de placer un détenu à l’isolement et les motifs sur lesquels elle repose doivent être immédiatement portés à la connaissance d’autorités qui, comme le directeur régional, appartiennent à l’administration pénitentiaire mais sont extérieures à l’établissement ou qui, comme le juge de l’application des peines ou le procureur de la République pris en sa qualité de membre de la commission d’application des peines, loin d’appartenir à l’administration pénitentiaire, sont au contraire chargés d’en contrôler l’action ; qu’au surplus, seul le directeur régional peut prolonger la mise à l’isolement ; en troisième lieu que par nature le placement à l’isolement d’un détenu contre son gré rend difficile, voire impossible, pour une durée qui peut atteindre trois mois et être prolongée, tant l’attribution ou la conservation d’un travail rémunéré que la participation à des activités collectives organisées dans l’établissement au titre de l’action socio-culturelle, de l’enseignement et de la formation professionnelle ; qu’ ainsi une telle mesure aggrave les conditions matérielles de la détention, quand bien même l’article D 283-2 du code de procédure pénale postule que le « régime ordinaire de détention » demeure celui qui s’applique aux détenus placés à l’isolement ;

Considérant que, dans ces conditions, le placement à l’isolement d’un détenu contre son gré constitue non une mesure d’ordre intérieur mais une décision faisant grief, susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir ; que M. R. est dès lors fondé à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Versailles, par le jugement attaqué, a rejeté comme irrecevable sa demande tendant à l’annulation de la décision du 18 juin 1998 du directeur de la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy (Yvelines) le plaçant à l’isolement ;

Considérant qu’il y a lieu d’évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. R. devant le tribunal administratif de Versailles ;

Considérant que l’article 1er de la loi susvisée du 11 juillet 1979 dispose : ’Les personnes physiques ou morales ont le droit d’être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : -(…) imposent des sujétions’ ; qu’aux termes de l’article 3 de la même loi :’La motivation exigée par la présente loi doit être écrite et comporter l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision° ;

Considérant qu’en guise de motivation, le directeur de la maison d’arrêt s’est borné à souligner sur un formulaire préimprimé l’un des motifs de placement à l’isolement énumérés par ce document, à savoir ’troubles à l’ordre ou à la discipline dans l’établissement’ ; qu’en s’abstenant de préciser les éléments de fait caractérisant ces troubles, alors que la décision litigieuse a été prise le jour du transfert de M. R. à la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy, le directeur n’a pas satisfait aux exigences de motivation prescrites par les dispositions précitées de la loi du 11 juillet 1979 ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que M. R. est fondé à demander l’annulation de la décision du 18 juin 1998 du directeur de la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du 15 décembre 2000 du tribunal de Versailles, ensemble la décision en date du 18 juin 1998 du directeur de la maison d’arrêt de Bois d’Arcy (Yvelines) plaçant M. R. à l’isolement, sont annulés.

décembre 2002

[1] Voir CE, 28 février 1996 Fauqueux N° 106582 ; CAA Bordeaux, 19 juillet 1999 Hyver N° 97BX01951 ; CAA Bordeaux, 16 juillet 1999 Ségura N° 98BX01485, à propos de mises à l’isolement répétées ; CAA Doua 14 juin 2001 Hardy N° 00DA01272 ; CAA Marseille 1er juillet 1999 Leca N° 99MA00152

[2] CE, 29 juillet 2002, N°224699

[3] CAA Douai, 13 mars 2002, Mme Le Bleis Sanceau

[4] CE, 23 février 2000, Glaziou, n°155607

[5] CE, 8 déc. 2000, Frérot N°162995

[6] CE, 27 janvier 1984, Caillol, N° 31985, A.J.D.A. 1984, Chronique de B. Lasserre et J.-M. Delarue, p. 72 et G.P., 17 mai 1984, note X. Prétot

[7] article D. 283-2 du CPP

[8] Voir notamment, P. Poncela, La mise à l’isolement, R.S.C. 1997, p. 447 ; M. Herzog-Evans, L’isolement carcéral isolé, Petites Affiches du 23 juin 1997, p. 16 ; M. Herzog-EVANS, Quelques reformes récentes en droit pénitentiaire, Petites Affiches n°105, du 27 mai 1999 ; P. Couvrat, Le contrôle du juge sur les sanctions disciplinaires du milieu pénitentiaire, R.S.C. 1995, chr. pénitentiaire p. 381 ; M. Seyler, L’isolement en prison, l’un et le multiple, CESDIP, Etudes et données pénales, 1990, no 60, sp., p. 145-146 et A. Fericelli, La solitude des isolements, La lettre du Genepi, octobre 1993, p. 6, sp., p. 8.

[9] M. Herzog-Evans, L’isolement carcéral isolé, op. cit.

[10] Voir M. Herzog-EVANS, Quelques reformes récentes en droit pénitentiaire, Petites Affiches n°105, du 27 mai 1999

[11] CE, 29 juillet 2002, N°224699

[12] CAA Douai, 13 mars 2002, Mme Le Bleis Sanceau

[13] CE, 23 février 2000, Glaziou, n°155607

[14] CE, 8 déc. 2000, Frérot N°162995

[15] CE, 27 janvier 184, Caillol, N° 31985

[16] CAA Paris, 29 juin 2001, Frérot N° 97PA03555

[17] CAA Paris, 29 juin 2001, Frérot N° 97PA03555

[18] CAA Lyon, 13 décembre 2000, Henaf, N° 98LY01343 ; voir aussi CE, 15 janvier 1992, Cherbonnel N° 97149

[19] CE, 28 février 1996 Fauqueux n° 106582 ; CE, 22 septembre 1997 Trébutien, n°170750

[20] CE, 23 février 2000, Glaziou, n°155607